Je me demande si je suis la seule à décevoir mes parents. Évidemment que non. Mais j’aimerais bien les TROUVER, ces fameux gens dont les géniteurs soupirent à leur évocation. Leur demander comment, eux, ils font pour assumer de ne pas correspondre à l’idéal que leurs parents se sont forgés, pour passer au-dessus, s’en foutre, se construire et faire leur vie, juste pour E.U.X, oui, pour EUX.
Cher Papa, chère Maman, je.ne.veux.pas.être.avocate. Ni juriste. Ni clerc de notaire, ni huissier, ni greffière, ni magistrat, ni rien de tout ça. Oui, je sais, c’est dommage, alors que je viens tout juste de décrocher mon diplôme après 8 années d’études, deux Masters, la meilleure note en plaidoirie et que j’ai même pas redoublé une seule fois. Je suis la première déçue, croyez-le bien. Je vous jure que ç’aurait été plus facile pour moi d’enfiler ma robe en laine noire à 900 boules et d’aller bosser dans un cabinet. Mais il eût fallut que j’aime ça. Je te jure Papa, c’est important d’aimer ce que l’on fait dans la vie. Toi, forcément, tu as passé 40 ans à faire un boulot que tu détestais, entouré de gens que tu méprisais, motivé par le salaire et uniquement cela. Toi, forcément, tu es sous calmants depuis la moitié de ta vie et tu ne conçois plus de t’endormir sans avoir ingurgité des somnifères au préalable. Tu n’as pas d’amis, pas de passion, rien qui t’anime. Je suis désolée de ce que je vais te dire mais, papa, tu es un peu sordide.
Alors pourquoi, au regard de tout ça, pourquoi je t’écoute quand même? Pourquoi tes paroles me blessent tant alors que tu es un parfait contre-exemple? Pourquoi c’est si dur de t’entendre me dire que je vais d’échec en échec? D’accepter que, d’une façon ou d’une autre, je ne peux pas compter sur toi. Parce que, la vérité, c’est que tu préférerais me savoir avocate mais malheureuse, que dans la situation dans laquelle je me trouve actuellement. C’est vrai que c’est pas classe, une fille au chômage, qui cherche à se reconvertir et passe ses journées les yeux dans le vide. C’est sûr que ça fait moins bien dans les dîners.
Comment ils font, ces enfants qui déçoivent leurs parents? Est-ce qu’a posteriori, ils se disent qu’ils ont bien fait? Le lien nourricier, si fort soit-il, doit-il parfois être arraché pour s’affranchir du poids de la culpabilité?
Papa, Maman, je vais passer le concours pour devenir institutrice. Vous ne le savez pas encore. Je ne vous l’ai pas dit parce que je sais que vous allez mal le prendre. Vous direz que ce n’est pas à la hauteur de mes capacités, que j’aurais pu faire bien mieux, que je vais crever la faim à gagner 1600 balles par mois, que je vais me faire charcuter par de futurs délinquants issus de ZEP… Vous allez me dire qu’à cause de moi, vous vous rongez les sangs, que Maman est fragile et qu’elle s’inquiète beaucoup pour moi, que je suis responsable de tout ça, que je suis ingrate, que je ne sais pas ce que je veux, que je mériterais d’être orpheline et de finir toute seule. Et peut-être que vous avez raison, après tout.
Mais, voyez-vous, chers parents, si aujourd’hui, je doute constamment, à chaque décision que je prends, à chaque pas que je fais, c’est à cause de vous. Alors non, peut-être pas à 100%, il y a la vie, bien sûr, les épreuves, le chemin personnel. Mais au-delà de ça : si je ne me sens jamais capable de rien, si j’agace mes proches à ne jamais croire en moi, à me sous-estimer, à me dévaloriser, c’est à cause de votre regard. Celui que vous posez sur moi et celui que vous posez sur vous.
J’ai peur, aujourd’hui. Peur parce que oui, je fais connerie sur connerie, et que ma vie est un foutoir en ce moment, bien plus qu’elle ne l’a jamais été. Je suis en chute libre, je pense souvent que j’aimerais fermer définitivement les yeux sur ce monde et entamer un vol dans les airs. Je pense en permanence à votre déception, que je suis nulle, que votre mal-être est de ma faute. Je me dis souvent que je ne mérite pas de vivre. Et, même avec tout ça, vous voyez, je n’ai pas envie de la faire, cette carrière. Revêtir cette robe, c’est au-dessus de mes forces. Je ne sais pas qui je suis et j’en suis désolée. Je ne suis pas celle que vous vouliez et j’en suis désolée. Je suis perdue, bornée, indécise, en doute perpétuel, timide, coincée et je ne fais rêver personne. Je vous inflige certainement une honte que vous n’arrivez pas à compenser en vous disant qu’au fond, je suis quelqu’un de bien.
Je vous déçois et je le vis mal. Alors que j’aimerais tant le vivre bien.